Complainte du fusillé
Ils m'ont tiré au mauvais sort
par pitié
J'étais mauvaise cible
le ciel était si bleu
Ils ont levé les yeux
en invoquant leur dieu
Et celui qui s'est approché
seul
sans se hâter
tout comme eux
un petit peu a tiré à côté
à côté du dernier ressort
à la grâce des morts
à la grâce de dieu.
Ils m'ont tiré au mauvais sort
par les pieds
et m'ont jeté dans la charrette des morts
des morts tirés des rangs
des rangs de leur vivant
numéroté
leur vivant hostile à la mort
Et je suis là près d'eux
vivant encore un peu
tuant le temps de mon mal
tuant le temps de mon mieux.
|
Chanson dans le sang
Il y a de grandes flaques de sang sur le monde
où s'en va-t-il tout ce sang répandu
Est-ce la terre qui le boit et qui se saoule
drôle de saoulographie alors
si sage... si monotone...
Non la terre ne se saoule pas
la terre ne tourne pas de travers
elle pousse régulièrement sa petite voiture ses quatre saisons
la pluie... la neige...
le grêle... le beau temps...
jamais elle n'est ivre
c'est à peine si elle se permet de temps en temps
un malheureux petit volcan
Elle tourne la terre
elle tourne avec ses arbres... ses jardins... ses maisons...
elle tourne avec ses grandes flaques de sang
et toutes les choses vivantes tournent avec elle et saignent...
Elle elle s'en fout
la terre
elle tourne et toutes les choses vivantes se mettent à hurler
elle s'en fout
elle tourne
elle n'arrête pas de tourner
et le sang n'arrête pas de couler...
Où s'en va-t-il tout ce sang répandu
le sang des meurtres... le sang des guerres...
le sang de la misère...
et le sang des hommes torturés dans les prisons...
le sang des enfants torturés tranquillement par leur papa et leur maman...
et le sang des hommes qui saignent de la tête
dans les cabanons...
et le sang du couvreur
quand le couvreur glisse et tombe du toit |
La guerre déclarée
j'ai pris mon courage
à deux mains
et je l'ai étranglé.
Le Ministre de la guerre :
Je poursuis.
Un hôpital détruit : dix, cent -
et je suis modeste -
peuvent être reconstruits
Et, le projet adopté à l'unanimité,
la nuit est tombée,
l'hôpital a sauté avec aux alentours quelques bribes du quartier.
Le jour se lève sur la ville
où le rire s'amenuise, se dissipe et disparaît.
Tout redevient sérieux.
La vie, comme la Bourse, reprend son cours
et la mobilisation générale se poursuit de façon normale.
|
Et le sang qui arrive et qui coule à grands flots
avec le nouveau-né... avec l'enfant nouveau...
la mère qui crie... l'enfant pleure...
le sang coule... la terre tourne
la terre n'arrête pas de tourner
le sang n'arrête pas de couler
Où s'en va-t-il tout ce sang répandu
le sang des matraqués... des humiliés...
des suicidés... des fusillés... des condamnés...
et le sang de ceux qui meurent comme ça... par accident.
Dans la rue passe un vivant
avec tout son sang dedans
soudain le voilà mort
et tout son sang est dehors
et les autres vivants font disparaître le sang
ils emportent le corps
mais il est têtu le sang
et là où était le mort
beaucoup plus tard tout noir
un peu de sang s'étale encore...
sang coagulé
rouille de la vie rouille des corps
sang caillé comme le lait
comme le lait quand il tourne
quand il tourne comme la terre
comme la terre qui tourne
avec son lait... avec ses vaches...
avec ses vivants... avec ses morts...
la terre qui tourne avec ses arbres... ses vivants... ses maisons...
la terre qui tourne avec les mariages...
les enterrements...
les coquillages...
les régiments...
la terre qui tourne et qui tourne et qui tourne
avec ses grands ruisseaux de sang. |
|